De juin à octobre 2006 le muséum de Bourges s'est lancé dans une
nouvelle étude liée à la mortalité routière des chauves-souris. Cette
fois il ne s'agissait plus de prospecter les bords de routes pour y
rechercher les cadavres comme nous l'avions déjà fait de 2000 à 2003,
mais de recenser les victimes directes des collisions sur un véhicule en
déplacement. Le choix s'est porté sur un petit camion qui sillonnait
chaque nuit le sud du département du Cher pour livrer un quotidien
local. Le conducteur, Sylvain Cordeau, débutait sa tournée au coucher du
soleil et la terminait à la pointe du jour. Il a suivi chaque nuit deux
itinéraires différents sur 200 kilomètres pendant toute la période
d'estivage. A chaque impact de chiroptère, le chauffeur notait
scrupuleusement l'heure et le lieu de la collision et si possible
récupérait le cadavre ou l'animal blessé. Les deux parcours traversent
un maillage étroit de bocage, plusieurs grands massifs forestiers, des
plaines céréalières et des zones urbaines.
Voici le bilan de cette inquiétante étude riche de découvertes.
Sur les deux itinéraires empruntés depuis juin, le principal a été
effectué sur le sud du Cher. Il comprenait une portion d'autoroute, mais
essentiellement de nombreux axes routiers de petites dimensions
traversant des zones bocagères, des petits massifs forestiers, de
grandes zones céréalières et des villages. Le second parcours, emprunté
pendant 3 semaines, de fin juillet à la mi-août, couvrait le nord du
département avec des voies plus sinueuses, dans un milieu nettement
forestier coupé de vignobles et de cultures diverses: pâtures, champs,
vergers. Sur ce secteur, pourtant considéré comme le plus riche en
espèces du département, beaucoup moins de chauves-souris ont été
aperçues et seules quatre collisions ont été enregistrées.
Au 18 septembre 2006, soit après 63 nuits de conduite, 38 chauves-souris
ont été percutées. Près d'un tiers des animaux a pu être récupéré. La
technique de ramassage suite à une collision est simple; après arrêt du
véhicule et une marche arrière, Sylvain recherche pendant 5 minutes les
éventuels cadavres sur le bitume à l'aide d'une lampe à l'endroit
pressenti du choc. 12 individus de quatre espèces ont ainsi été récoltés
suite à ce ramassage, 6 pipistrelles communes, 4 oreillards méridionaux,
1 barbastelle et 1 murin à oreilles échancrées. Pour chaque individu il
a été noté le sexe, la tranche d'âge (tous les individus semblaient âgés
de plus d'un an, à l'exception de deux pipistrelles communes de l'année,
bien grises). La présence d'insectes dans la gueule a été recherchée sur
tous les cadavres, preuve d'une chasse active au moment de l'accident
mais aucune des chauves-souris analysées n'avait de restes d'insectes
visibles. Une pipistrelle a été euthanasiée sur place suite à la
collision, et deux autres individus retrouvés sur le bitume assommés et
sans blessures apparentes ont été relâchés après 24 heures d'observation
au centre de soins du muséum. Il s'agissait de deux oreillards méridionaux.
24 impacts ont pu être renseignés au niveau de l'heure. Il apparaît
quatre collisions en début de nuit dans la tranche de 21h à 22h.
L'essentiel des autres chocs ont été notés entre 3 et 4 heures du matin
(16 impacts sur 24). Les accidents sont survenus à des vitesses
comprises entre 45 Km/h et 130 Km/h.
Pendant ces quelques mois, Sylvain Cordeau, a aussi noté les
comportements en vol des chauves-souris et semble bien avoir fait
plusieurs découvertes étonnantes et inquiétantes.
Tout d'abord il a appris à différencier à l'ouïe l'impact sur
carrosserie des chauves-souris par rapport aux autres taxons percutés.
Les gros insectes comme les lucanes ou les hannetons donnant un son plus
sec et métallique que les chiroptères.
Ces derniers apparaissent également clairement dans les phares à
l'approche du véhicule et tentent presque toujours d'échapper au choc.
Il n'y a alors guère de doute possible quant à leur identification en
tant que chiroptères. La plupart des impacts se sont faits au niveau du
haut du camion, au-dessus du pare-brise. Le plus souvent, le chauffeur
peut classer les victimes dans trois classes de taille différentes :
petite, moyenne et grande. Une seule grande espèce a été percutée, elle
n'a pu être récupérée mais sa description correspond fortement à celle
d'un grand murin. A quatre reprises, des chauves-souris ont été
observées, s'envolant du bitume à l'approche du camion, une seule de
celles-ci a été percutée, c'était un oreillard méridional. Ce
comportement est-il lié à du "charognage" ou à une chasse active sur le
bitume à la poursuite d'insectes?
A deux ou trois occasions, n'ayant pas retrouvé de cadavres,
l'observateur a eu un doute sur un ré-envol possible d'animaux
simplement soufflés par un impact léger. Deux autres oreillards
méridionaux ont été retrouvés vivants. Le premier touché à 90 Km/h a été
relâché en pleine forme 48h après, le second percuté à 130 est arrivé
vivant au muséum mais est mort 8 heures plus tard.
A la mi-septembre, les observations de chauves-souris volant dans les
phares ont soudainement baissé et plus aucun impact n'a été constaté à
partir de cette date même si l'étude s'est prolongée jusqu'à la fin de
l'automne.
Cette étude ne donne que des résultats partiels mais elle confirme que
la mortalité routière doit être considérée comme l'une des principales
causes d'accidents pour les espèces européennes. Une théorie que le
muséum de Bourges considérait depuis 15 ans comme probable.