Voici une interview intéressante du responsable de Plecotus, Frédéric Forget:-----------------------------
Frédéric Forget, quel est le bilan de santé des populations de chiroptères de Belgique ?Notre pays compte dix-huit espèces de chauves-souris. Depuis les années 40-50, certaines espèces ont disparu et la quasi- totalité des espèces se sont fortement raréfiées. La barbastelle est considérée comme éteinte, par exemple. Le petit rhinolophe ne subsiste plus qu’en quelques dizaines d’exemplaires. Seule la pipistrelle peut être considérée comme encore très commune dans notre pays.
Et ce déclin se poursuit-il encore ?En fait, depuis les années 1980, on observe une certaine stabilisation des populations. Mais les effectifs sont à un seuil largement inférieur à ce qu’ils étaient antérieurement.
Quelles sont les causes de disparition de ces animaux ?Il y a de nombreux facteurs dont les deux principaux sont l’utilisation des pesticides causant l’empoisonnement des insectes et des chauves-souris qui s’en nourrissent, et les dérangements des chauves-souris, particulièrement pendant la période hivernale. Pour survivre à cette saison, ces mammifères nocturnes ont emmagasinné des graisses et vont hiberner pendant plusieurs mois dans des grottes, des souterrains... Lorsqu’elles sont dérangées au cours de l’hiver, les chauves-souris se réveillent et utilisent une partie de ces graisses pour augmenter leur température - qui est celle de la grotte à savoir 4 ou 5°-, et atteindre environ 37°. Il est évident que des dérangements successifs affaiblissent ces animaux et peuvent causer leur perte.
Le grand public manifeste-t-il toujours de l’appréhension à leur égard ?Oui, malheureusement. Les chiroptères n’attirent toujours pas la sympathie du grand public. Certains mythes, comme la légende qui veut que les chauves-souris s’accrochent dans les cheveux, sont encore bien ancrés. Cependant, une exposition comme celle présentée il y a deux ans au Musée des Sciences Naturelles de Bruxelles fait que les choses changent, mais lentement. Nombreuses sont encore les personnes qui ne connaissent les chauves-souris que par Batman ou le diable...
Vous appelle-t-on encore souvent à l’aide lorsqu’une colonie de pipistrelles a élu domicile dans une habitation ?Très souvent, et cela montre clairement que le grand public ne connaît pas ces animaux. Dans la majorité des cas, nous sommes appelés parce que les gens ont peur et s’imaginent une foule de choses qui sont fausses! Mais en dialoguant avec eux - et croyez-bien qu’il faut plus de cinq minutes - on arrive tout doucement à leur faire abandonner leurs préjugés, les persuader que les chauves-souris ne transmettent pas de maladies, ne rongent pas les cloisons ou les poutres, ne se reproduisent pas comme des souris puisqu’elles ne mettent au monde qu’un jeune par année... Bref, on essaie de leur faire accepter la présence de la colonie.
Peut-on trouver d’autres espèces que la pipistrelle chez soi ?Il est assez amusant de constater que les chauves-souris, mis à part la pipistrelle qui recherche plutôt des espaces confinés, sont des animaux plutôt religieux ou " BCBG ". En effet, la plupart des espèces ont besoin de vastes espaces, comme les combles. Et où en trouve-t-on si ce n’est dans de grandes bâtisses, dans des châteaux ou des abbayes? Le cas du petit rhinolophe est assez parlant : les quatre dernières colonies de reproduction se situent à l’abbaye d’Orval, dans un prieuré à Torgny et dans les châteaux de Modave et de Revogne...
Vous êtes à la base de la création de " PLECOTUS ". De quoi s’agit-il ?" Plecotus " est le nom latin d’une de nos espèces de chauves-souris : l’oreillard. C’est aussi le nom d’un groupe qui s’est fixé pour objectifs de protéger et d’étudier les chauves-souris en Wallonie. Cette association, qui compte actuellement une vingtaine de membres, s’est créée l’an dernier dans la région liégeoise, autour d’un site à Comblain-au-pont, riche en espèces chiroptérologiques et menacé par un projet de " sports-aventure ". Un groupe s’est mobilisé pour mettre ce site sous protection. Par la suite, Plecotus a pris de l’extension sur le territoire wallon.
Quelles sont les réalisations à mettre à l’actif de l’association ?Depuis sa création, Plecotus a aménagé l’accès de trois sites à chauves-souris : à Comblain-au-pont, Revogne et tout dernièrement, à Neufchâteau. Il y a quelques semaines, l’association a également organisé le premier colloque belge sur le thème des chauves-souris.
Cela a été une très belle réussite, car nombreux sont les spécialistes professionnels ou non, wallons ou néerlandophones, belges ou étrangers, qui ont eu l’occasion de présenter leur travail. Toujours en ce qui concerne l’étude des chiroptères, Plecotus s’est également fixé pour objectif de mettre en place une base de données. Des études très précises, telle celle entamée sur les derniers petits rhinolophes de Belgique, sont également menées.
A propos d’étude, quelles sont les techniques utilisées ?La technique la plus utilisée a été le baguage des chauves-souris. Mais trop dérangeante pour les animaux - notamment parce ceux-ci étaient réveillés au cours de leur hibernation -, cette méthode a été abandonnée il y a une vingtaine d’années. Les chauves-souris ont été longtemps étudiées en hiver dans les grottes, tout simplement parce que c’est là qu’elles sont le plus facile à décourir. Par la suite, on s’est attelé à étudier et à protéger les colonies de reproduction. Et maintenant, on va même jusqu’à étudier les terrains où chassent les chauves-souris, cela grâce entre autres à certaines innovations technologiques : appareils à ultra-sons et radio-pistage. L’étude du petit rhinolophe dans la région de Revogne montre clairement que cet animal chasse uniquement dans un bois fermé. Notre objectif est donc de maintenir ce site vital pour l’espèce dans l’état dans lequel il se trouve actuellement.
Les déplacements entre les lieux de reproduction et les gîtes hivernaux sont-ils importants ?Cela est éminemment variable en fonction de l’espèce. Le petit rhinolophe par exemple, a besoin de tout trouver à proximité : il vit l’été dans les combles, l’hiver dans les caves, et ses terrains de chasse ne doivent pas être trop éloignés. Par contre, certaines espèces effectuent des migrations énormes. C’est le cas de la pipistrelle de Nathusius qui vient des pays de l’est, que l’on rencontre chez nous en automne et qui descend encore plus vers le sud ; elle effectue donc plusieurs milliers de kilomètres. Entre ces deux cas extrêmes, il y a par exemple le verspertilion des marais qui se reproduit aux Pays-Bas et vient passer l’hiver dans nos contrées.
Voilà une quinzaine d’années que vous étudiez et protégez les chauves-souris. Quels sont votre meilleur et votre pire souvenir de chiroptérologue ?Le meilleur, c’est la découverte de la colonie de petits rhinolophes à Revogne. En fait, on ne savait pas qu’une colonie si importante - une soixantaine d’individus - existait encore en Belgique. Le pire, c’est sans conteste la première grotte que j’ai fermée il y a de nombreuses années. Nous avions modifié le micro-climat de la galerie et les chauves-souris qui marquent une préférence nette pour les grottes dans lesquelles il y a une circulation d’air, sont allées s’installer dans les souterrains voisins...
Thierry Gridlet
RNOB Famenne & Ardenne
(vu à ce lien ->
http://www.info-ardenne.com/meilleurs/nature/chauve-souris.html )