ETHOLOGIEDes chauves-souris qui apprécient la chair des passereaux La peur qu’inspirent les chauves-souris a encore de beaux jours devant elle… du moins pour les passereaux migrateurs ! En étudiant le régime alimentaire de la noctule géante, une équipe de chercheurs européens vient en effet d’apporter la preuve que cette chauve-souris méditerranéenne rarissime se régale d’oiseaux. Cette chasse nocturne dans les airs est une première dans le règne animal.
Quand, en 2001, des chercheurs espagnols ont retrouvé des plumes d’oiseaux dans les excréments de la noctule, une vive controverse a divisé les scientifiques. Certains étaient convaincus que la chauve-souris géante était une carnivore se nourrissant d’oiseaux migrateurs alors que d’autres argumentaient qu’elle devait plutôt avaler par hasard des plumes d’oiseaux, abondantes dans les airs pendant les périodes migratoires.
Pour démontrer que la noctule géante est bien prédatrice, l’équipe de chercheurs suisses et espagnols dirigée par Carlos Ibañez, de la station biologique espagnole d’Ibaña, a analysé le sang des chauves-souris. Tous les nutriments assimilés s’y retrouvent, permettant de suivre de près le repas des noctules grâce à la technique des isotopes stables. Cette méthode permet de déterminer la place des êtres vivants dans la chaîne alimentaire en quantifiant le carbone et l’azote dans leurs tissus. Plus on y trouve d’isotopes, plus la position de l’organisme dans la chaîne trophique est élevée. Les invertébrés, proies habituelles des noctules, sont ainsi moins chargés en isotopes que les passereaux. Les isotopes des proies constituent ainsi de véritables traceurs diététiques accumulés dans le sang du prédateur.
Le sang des chauves-souris du sud de l’Espagne a été prélevé tous les mois, de mars à octobre (les chauves-souris hibernent en hiver). «L’analyse de leur sang révèle que leur régime alimentaire est en étroite relation avec les migrations des oiseaux. En été, il est constitué d’invertébrés, au printemps d’un mélange d’invertébrés et d’oiseaux, et en automne, il est clair que les chauves-souris sont carnivores» explique Raphaël Arlettaz, professeur de biologie de la conservation à l’université de Berne.
La mixité du régime alimentaire printanier de la noctule s’explique par le fait qu’une partie des passereaux n’a pas survécu aux conditions hivernales et que la chauve-souris complète ses repas avec des invertébrés. En revanche, en automne, les oiseaux se sont reproduits et ils sont plus nombreux à entamer la migration. Les petits, encore naïfs, sont des proies vulnérables.
La charmante noctule de 45 cm d’envergure, équipées de canines tranchantes et d’un efficace radar pour fondre sur ses proies dans la nuit est bien une grande prédatrice, concluent les chercheurs. Ils publient leurs travaux aujourd’hui dans la revue PLoS ONE.
Malgré l’énorme réserve de nourriture que constituent les oiseaux migrateurs, aucun prédateur n’était connu à ce jour pour les chasser en vol nocturne. Les noctules géantes illustrent une fois de plus aux formidables capacités adaptatives des chauves-souris. Arthropodes, pollens, fruits, vertébrés terrestres et même sang, les divers espèces de chauves-souris ont su exploiter des ressources variées et ainsi coloniser de nombreuses niches écologiques au cours de leur évolution.
Noctule géante (Nyctalus lasiopterus)Source :
http://tempsreel.nouvelobs.com